vendredi 5 août 2016

Elections en Afrique du Sud : derrière la médiocrité des commentaires, la réalité du terrain

En France, les commentaires des élections sud-africaines sont à la fois affligeants de médiocrité et en total décalage avec la réalité. Avec leur habituel psittacisme, les médias français parlent ainsi d’un échec de l’ANC alors que nous observons au contraire une stabilité du corps électoral[1]. Cinq remarques :

1) Comparons ce qui est comparable en nous tenant aux seules élections municipales. Lors du scrutin de 2011, l’ANC  avait obtenu 61,95% des suffrages. Le 3 août 2016, 54,30% des électeurs lui ont donné leurs voix. Le recul est donc de 6 à 7 points. Il est cependant loin des annonces d’effondrement pronostiquées par les « experts ». Non seulement le parti est encore largement dominant, mais dans les provinces rurales, il réalise des scores très élevés, ainsi, dans le Mpumalanga (68,34% des voix), dans le Limpopo (68,73%) et dans l’Eastern Cap (65,37%).

2) Les points perdus par l’ANC au plan national se retrouvent dans un parti qui n’existait pas en 2011. Il s’agit de l’EFF (Economic Freedom Fighters) de Julius Malema qui a obtenu 7,96% des voix. Cette dissidence gauchiste de l’ANC a pour programme la confiscation sans indemnisation des terres appartenant aux Blancs, la nationalisation des mines et des banques. Le recul relatif de l’ANC n’est donc pas la preuve d’un virage « à droite » de l’Afrique du Sud.

3) En dépit d’une consolidation dans sa base ethno-électorale du Western Cape où elle a obtenu 63.55% des voix, et d’une victoire spectaculaire à Port Elizabeth[2], vieux bastion ANC, la DA (Democratic Alliance), ne réalise pas la percée annoncée. Elle passe en effet de 23,94% des voix en 2011 à 26,57%, soit un gain d’un peu plus de deux points. En mettant à sa tête un Noir originaire de Soweto, ce parti blanc, métis et indien espérait mordre sur l’électorat urbain noir déçu par les promesses non tenues par l’ANC. Or, sa progression s’est faite à la marge. La DA reste donc le parti des minorités raciales.

4) Une fois de plus, le principal enseignement de ce vote est l’extrême racialisation de la société sud-africaine. L’étude circonscription par circonscription, montre en effet que les Noirs ont voté pour des partis noirs, alors que les Blancs, les Métis du Cap et les Asiatiques ont donné leurs suffrages à la DA. Ainsi :

- Les Noirs totalisent environ 80% de la population sud-africaine, or, si nous additionnons les voix de l’ANC (54,30%), de l’EFF (7,96%), de l’Inkhata (4,55%) et celles obtenues par une multitude de petits partis noirs locaux (6,78%), nous obtenons  quasiment 74% des voix.

- Les Blancs (9%), les Métis du Cap (10%) et les Asiatiques (2%) totalisent environ 20% des électeurs. Avec 26,57% des votes, la DA n’a donc attiré à elle qu’une fraction minoritaire de l’électorat noir urbain. Ces citadins noirs qui ont voté DA appartiennent à deux catégories, la première est celle d’une  frange de « bourgeois » ayant fait un vote d’adhésion ; la seconde, la plus importante est celle de Noirs rejetant la gestion ANC comme à Port-Elizabeth où le vote DA est l’expression du rejet d’une administration ANC particulièrement corrompue et inefficace.

5) Le plus important est que, en dépit d’un recul in fine relatif, la position de Jacob Zuma est fragilisée, ce qui va déboucher sur une féroce guerre de clans à l’intérieur de l’ANC. Avec en ligne de mire le congrès de 2017 qui verra la désignation du prochain candidat de l’ANC aux élections générales de 2019.

Bernard Lugan
05/08/2016

[1] Une étude détaillée et cartographiée de ces élections sera faite dans le numéro du mois de septembre de l’Afrique Réelle.
[2] La DA n’y étant cependant pas majoritaire, elle devra former une coalition.

3 commentaires:

  1. bonjour, bonsoir,
    ce que je retiendrais, c'est qu'en période de longue crise économique, le repli éthnico-racial est systématique, la doctrine politique semble s'évanouir ou s'étioler (lutte des classes...) - grosse leçon pour l'Europe. A quand un livre sur les peuples et tribus...d'Europe ?
    Geoffrey, communiste belge +/- celte (et oui, vous lisez bien...)

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    1. Somme toute, si on ne pense pas comme vous c'est la faute de la crise…

      Ce qui expliquerait pourquoi le communisme a partout échoué : n'ayant jamais été capable d'amener autre chose que des crises, il aurait conduit, selon votre analyse communiste « plus ou moins celte » belge à un « repli etnico-racial systématique »…

      Autre explication possible : comme nos politiques libéraux mondialistes, les mondialistes communistes ne seraient capables de voir dans leurs échecs que la faute à la crise… la faute à pas de chance…

      Incapacité à remettre en cause ses certitudes ?

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  2. L'analyse que fait ce billet me semble imparable, mais ne convaincra pas ceux qu'aveuglent leur intransigeance idéologique. Leur bilan de décennies de prédictions erronées ne les retiendra pas de ne voir en ces résultats que des accidents explicables par des circonstances accidentelles ou purement conjoncturelles !

    Malheureusement pour eux, « les faits sont têtus. » (Vladimir Ilitch Oulianov, dit « Lénine »)

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